C’est une soirée comme les autres, vous êtes en famille ou peut-être avec quelques amis. Vous avez préparé du thé accompagné de petits gâteaux secs, il n’est pas trop tard pour discuter, il est encore trop tôt pour allumer la télévision. On sonne.
Bon admettons !
Sans prendre aucune des précautions habituelles, de façon désinvolte et quasi inconsciente, vous ouvrez votre porte. Une femme, dont les traits et les vêtements vous sont inconnus, mais dont le sourire rafraîchissant vous est familier, se joint à vous.
Bon admettons !
Vous êtes bien sûr un peu gêné, mais très gentiment elle ferme la porte et tire les verrous « On ne sait jamais » vous dit-elle. Vous l’accompagnez au salon, vous lui présentez votre famille ou peut-être vos amis. Vous lui proposez du thé qu’elle s’empresse d’accepter. Vous ne l’avez pas encore servie qu’elle a déjà baissé vos volets, débranché votre téléphone et vérifié qu’aucune petite créature répugnante ne se cache sous les coussins ou dans les placards.
Bon admettons !
Rassurée, elle s’assied et vous raconte l’historique complet du chantier de votre intérieur. Arrive un moment où captivé, vous réalisez que vous n’êtes pas chez vous, que vous n’y avez jamais été, que vous avez profité de son absence pour honteusement vous installer. Ce foyer que vous avez si patiemment aménagé est son terrier, sa forteresse. Il ne vous reste plus qu’à rentrer chez vous.
Bon admettons !
Mais comment rentrer chez vous puisque vous avez toujours habité chez elle ? Et d’ailleurs, existe-t-il un chez vous pour un vagabond tel que vous, livré à tous les dangers du ciel et de la terre ? Et si votre intérieur est à l’extérieur de son intérieur, où est votre extérieur ? Et si vous le trouviez, votre extérieur ne risquerait-il pas d’être à l’intérieur de son extérieur ? Dès lors où pourriez-vous trouver refuge ? À moins qu’intérieur et extérieur ne soient les bornes effrayantes d’une géométrie de l’espace que vous partagez avec cette inconnue souriante ? Il n’y aurait donc de refuge pour personne et nous serions tous d’horribles fripouilles qui veulent un logis sans avoir à le construire.
Dans ce cas, vous avez eu tort d’inviter votre famille ou peut-être vos amis à boire le thé.
Jean Lambert-wild