« La tolérance n’est pas une concession que je fais à l’autre mais la reconnaissance du principe que la vérité m’échappe. […] Comprendre revient à donner du sens à un événement, quel qu’il soit, en vue de s’en dégager pour mieux le tolérer et ensuite le prévenir. Et c’est dans cet ordre que notre pensée doit agir. Il y va de notre santé mentale. Il s’agit de ne pas rester sidéré par un fait divers. Ce pas en arrière, consiste à s’éloigner de l’horreur de l’acte pour ouvrir un espace qui fonctionnera comme une mise au point. On voit si mal quand on est collé à ce que l’on regarde ! »
Paul Ricoeur
Note de l’auteur
Cette citation du philosophe Paul Ricoeur, au sujet des infanticides, met le doigt sur l’exacte nécessité que j’ai eu de m’emparer de ce sujet. Il ne s’agit pas de dédouaner, nullement d’ôter la responsabilité à ces femmes meurtrières, simplement de se donner la permission de pouvoir réfléchir à tout cela. Le fait divers, pendant moderne des tragédies antiques, a de stupéfiant qu’il nous rappelle la complexité insondable de l’esprit humain et également l’intrication étroite entre la barbarie apparente et la souffrance. Cela est bien réel. En France, les experts évaluent le nombre d’infanticides entre 60 et 80, chaque année, et le chiffre est constant depuis les années 1970. Alors si cela existe, il me semble nécessaire de ne pas fermer les yeux dessus. Et, à défaut de comprendre, tendre vers. Car comment comprendre un acte que ces femmes meurtrières elles-mêmes ne comprennent ni ne s’expliquent pas ?
En écrivant Sandre, monologue pour un homme, je souhaite donner la parole à ces femmes-là. Cette parole qu’elles n’ont pas même la capacité d’avoir. Qu’elles n’ont souvent jamais eue, et encore moins maintenant sidérées par elles-même. Celles de ces Médée modernes que nous ne pouvons pas entendre. De leur absence de mots et de notre effroi à les écouter vraiment. Alors forcer la porte. Grâce au théâtre ouvrir nos oreilles. L’idée n’est pas de juger ni réhabiliter ces femmes néonaticides, mais de leur offrir un espace de parole. Celui qu’elles n’arrivent pas même à avoir, prisonnières d’elles-mêmes, et stupéfiées de leur propre acte. Et puisque ces mères n’ont pas les mots, il faut, par la fiction les inventer. Avec humanité, remplir ce grand vide, ce trou laissé béant. Une fois ingérés, s’éloigner des discours journalistiques et psychiatriques, les seuls existants, et en inventer un nouveau, intime, fragile, pudique, incertain, morcelé, brisé. Refaire le chemin qui, possiblement, peut amener une femme fragile à sortir d’ellemême à un moment donné. Les fêlures passées. Comment un jour tout déborde. Car à la différence des mères infanticides qui ont parfaitement conscience d’elle-même lors de leur acte, les mères néonaticides sont dans cette absence à elle-même. Disparues. Dans un ailleurs qu’on ne saisit pas. Alors rentrer dans leur tête pour fouiller dedans.
Solenn Denis
Le Collectif Denisyak
Le Collectif Denisyak c’est une hydre à deux têtes (Erwan Daouphars / Solenn Denis) s’acoquinant, de création en création, avec différents artistes qui se mettent en action autour de l’écriture de Solenn Denis et de ses pièces de théâtre à peine nées En faisant de l’autrice une co-équipière, il naît une nouvelle façon d’envisager le travail au plateau. L’autrice sous la main, c’est posséder toutes les clefs du texte mais aussi la possibilité de réécrire avec elle selon ce qui se passe au plateau jusqu’à la dernière minute dans une cohérence dramaturgique inébranlable.
Alors, ensemble, allier nos forces et compétences, multiplier les visions et envies, et ainsi faire des créations en mille-feuilles où chacun peut penser/vivre/ressentir/expérimenter le texte afin d’ouvrir un tas de possibles à éprouver au plateau, jusqu’à trouver les lignes de force que nous voulons donner à l’architecture de cette création. Puis, faire grandir ce brasier ardent et finir d’enterrer la figure du metteur en scène comme être unique et divin possédant « la » vision et de l’équipe artistique à sa disposition.
Parcours
Dès 2010 le Collectif s’attelle à monter une de ses pièces : Hornélius avec les comédiens Faustine Tournan et Philippe Bérodot. Après une résidence de création à La Fabrique Éphéméride, ils en proposent une lecture au Théâtre de la Bastille.
Puis le Collectif est invité par la Compagnie des Treizièmes à être artist associé des Impromptus, événement pluridisciplinaire qui a lieu trois fois par an, réunissant différents artistes autour d’un thème commun, et dont chacun présente une petite forme.
Soutenu par Laurent Laffargue grâce à son dispositif de Pépinière de la Compagnie du Soleil Bleu & du Glob Théâtre, le Collectif Denisyak a ensuite créé la pièce SStockholm au Glob Théâtre – Bordeaux en mars 2014. Fort de cette rencontre, le Glob Théâtre et la Pépinière du Soleil Bleu ont proposé de poursuivre leur accompagnement en produisant ensuite Sandre, créé à Bordeaux en décembre 2014 dans le cadre du Festival Novart, et repris au TnBA en mars 2016. Le Préau, après avoir suivi le travail du Collectif, leur propose la reprise de SStockholm au Festival ADO 2015, ainsi que la création d’une pièce pour le Festival ADO 2016, Spasmes, repris au TnBA en novembre 2016. Avec le soutient des Drôles de Dames, Sandre a été présenté au festival d’Avignon en juillet 2017, ce qui permet au spectacle, cette saison, de rayonner sur le territoire national et européen.
Aujourd’hui le collectif prépare sa prochaine création, Scelŭs qui sera crée en octobre 2019 au TnBA.
Le Collectif Denisyak est artiste associé du TnBA depuis 2017.
A noter, au Foyer des coopérateurs du Théâtre de l'Union, en entrée libre dans la limite des places disponibles :
> jeudi 14 nov., à l'issue de la représentation, rencontre avec l'équipe artistique