Oblomov, c’est l’histoire d’un homme qui ne veut pas travailler ; qui peut à peine se le permettre financièrement parce que son domaine tombe en ruine, que son appartement est crasseux ; mais qui se laisse emporter dans la contemplation mœlleuse du temps qui passe. Oblomov fait le désespoir de ses amis, la risée de ses détracteurs. Pourtant, il tombe soudain amoureux d’une femme qui voit en lui ce qu’il a enfoui sous des décennies d’habitudes molles, d’une femme qui décide de le changer. L’amour révèle alors des potentialités qu’il avait négligées : senteurs, couleurs, vivacité des sentiments, complexité des êtres. Grâce à l’amour, la vie d’Oblomov redevient un kaléidoscope digne d’être exploré. Mais le monde s’use. L’amour s’use. Et qui gagne à la fin ?
Comment rester vivant au milieu de ceux qui sont déjà morts ? Comment agir quand toute votre nature vous pousse à la résignation, au confort de l’apathie ? Quand Gontcharov écrit Oblomov au milieu du XIXe siècle, il évoque l’écartèlement de son époque, prise entre la nécessité d’agir pour se changer soi-même et transformer le monde, et la satisfaction ensommeillée qui la caractérise.
Mais nous, aujourd’hui ? Où en sommes-nous par rapport à ces questions ? Comment rester actif quand c’est précisément nos boulimies d’activité qui, à la fois, ternissent le monde, et permettent de le transformer ? Où plaçons-nous la frontière ténue qui sépare le lâcher-prise du laisser-aller ?
Notes d’intention
Mise en scène
Nous voici dans le rêve d’Ilya Ilitch Oblomov : un univers onirique, comme un bouquet de mimosas, où tout est douceur et volupté, nostalgie de l’enfance et de son monde révolu d’où Oblomov ne peut/veut se sortir. Un théâtre au plus près des sentiments où quatre figures s’y défient : Oblomov qui se soucie de lui-même, de son bonheur, face à Stolz, l’ami d’enfance, résolument tourné vers le monde, la société et le progrès, Olga, la soprano et sa voix d’une beauté absolue, la passion et l’amour qui promet des ailleurs et du désenchantement face à Agafia, la terrienne, rassurante et maternelle, le violoncelle.
730 000 heures. C’est le temps d’une vie. Une vie à s’agiter ? Oblomov décide de résister à l’agitation ! Face à Kronos, il faut s’arrêter, il faut procrastiner, prendre le temps. Le temps est une nouvelle richesse : aliénante ou émancipatrice ? Nous sommes bombardés d’injonctions qui nous disent comment et où « tuer le temps ». Gontcharov nous invite à sortir de la volonté de l’avoir, à cesser de posséder et travailler... Gagner sa vie ? Déjà il faut la vivre ! Cette question traverse notre nouveau cycle sur la reconquête du temps.
Scénographie
La scénographie ne suit pas littéralement les déplacements et les lieux décrits par Gontcharov. On s’attache plutôt à signifier un mouvement d’ouverture vers l’extérieur ou de repli vers l’intérieur. Aussi l’espace est organisé à la manière de poupées russes, en zones concentriques. Grâce aux transparences des toiles qui bordent la chambre d’Oblomov, l’espace se dilate, la lumière révèle les différents niveaux à travers ces filtres. Les éléments scéniques sont organisés de façon à faire exister un extérieur hors champ qui, dans les moments d’ouverture, envoie sa lumière et ses rayons filtrés jusqu’au lit d’Oblomov. Assez naturellement le paradigme de l’occultation s’est imposé, ce qui nous a amené à travailler le motif du baldaquin, du rideau et de la persienne... Plus on se rapproche du lit plus les choix scénographiques contribuent à une ambiance onirique, chaleureuse et rassurante. La légèreté des voilages tranche avec les lignes concrètes très construites des fenêtres en périphérie.
Redynamisé par le déplacement des objets et du mobilier, le dispositif reste néanmoins le même tout au long de cette fresque ; il participe ainsi à l’incarnation scénique de «l’oblomovisme».