Dans Un mois à la campagne, comédie en cinq actes écrite en 1850, Yvan Tourgueniev explore les conduites amoureuses de ses contemporains. La paisible vie quotidienne chez les Islaïev devient pour quelques jours le théâtre d’une agitation inhabituelle. La présence de Beliaev, étudiant moscovite engagé pour l’été comme précepteur, en est la cause. La simplicité et la vitalité de l’étudiant contrastent avec les conventions mondaines des maîtres et avivent les sentiments d’insatisfactions d’une noblesse en déclin. Les tentions s’accumulent au long de la pièce, tel un ciel qui se charge. Et comme un orage d’été, le conflit disparait aussi brusquement qu’il éclate.
En pleine époque romantique, Tourgueniev fait preuve d’une exceptionnelle modernité. Au point culminant de la pièce, il résiste au mélodrame et au pathétique. À l’excès de passion de Natalia Islaïev (la maîtresse de maison), l’auteur oppose des relations plus raisonnables, jusqu’à en tirer un effet comique. À travers ces contrastes, Tourgueniev rend très exactement compte, comme il le dit lui-même, de « ces mouvements simples, inattendus dans lesquels s’exprime avec éclat l’âme humaine ».
Maryse Estier
La pièce
Ecrite en 1850, remanié à plusieurs reprises dans l’espoir d’obtenir l’autorisation de la censure, cette pièce n’a été publiée dans sa version définitive qu’en 1869, à une époque où Tourgueniev, découragé par l’hostilité de la censure et l’incompréhension de la critique, avait définitivement renoncé au théâtre considérant son ouvrage comme un récit dialogué et non plus comme une comédie destinée à la scène.
La véritable consécration de Tourgueniev, dramaturge, sera posthume. Elle date de la création par Stanislavski du Mois à la campagne au Théâtre Artistique de Moscou, en 1909. Le triomphe obtenu précédemment par ce théâtre avec les pièces de Tchekhov, considérées jusqu’alors comme peu scéniques, oblige les critiques à changer aussi leur opinion en ce qui concerne le théâtre de Tourgueniev dans lequel ils reconnaissent le prédécesseur direct de l’art dramatique de Tchekhov.
« Coeurs brisés, amitiés rompues. » Beliaev acte V.
La paisible vie quotidienne chez les Islaïev devient pour quelques jours le théâtre d’une agitation inhabituelle. La présence de Beliaev, étudiant moscovite engagé pour l’été comme précepteur de leur fils Kolia, en est la cause. La simplicité et la vitalité de l’étudiant contrastent avec les conventions mondaines des maîtres et avivent les sentiments d’insatisfactions d’une aristocratie en déclin. Natalia Petrovna, la maîtresse de maison, séduite par la jeunesse de l’étudiant, reproche à Rakitine, ami de la famille, d’être le représentant de ce milieu maladif et de l’ennui qui suinte du salon. Sa pupille, Véra, tombe également amoureuse de Beliaev. De l’enfant naïve qu’elle était au début de la pièce elle se transforme en une jeune femme décidée. Les tentions s’accumulent tel un ciel qui se charge. Et comme un orage d’été, le conflit disparait aussi brusquement qu’il éclate. Ainsi à la fin du Mois à la campagne, Islaïev et sa mère se demandent avec stupéfaction ce qui a bien pu se passé dans leur maison.
« Une sympathie qui descend jusqu’aux êtres les plus infimes et donne une pensée aux paysages. On voit et on rêve. » Flaubert
Au-delà des scènes de la pièce, semble s’étendre un vaste espace, qui entre à flots par la fenêtre, influe sur les personnes, les isole, les rend incapables d’action, indifférents au conséquences, sincères et larges d’esprit. On est assis comme de coutume autour du samovar, on parle doucement, tristement, agréablement et alors une personne se tait et va regarder par la fenêtre. « La lune a dû se lever », dit-elle. « Il y a du clair de lune au sommet des peupliers. » Nous levons les yeux, et nous le voyons – ce clair de lune sur les peupliers. Tourgueniev unit la lune, les personnes autour du samovar, la voix, les fleurs, la tiédeur du jardin – il les fond dans un moment de grande intensité, alors que tout autour se trouvent des espaces silencieux, et, à la fin, il se détourne avec un petit haussement d’épaule.
Quoique les personnages s’expriment avec des voix fort naturelles, ce qu’ils disent est toujours inattendu ; le sens se prolonge après qu’ils se sont tus. Et alors que durant ce silence nous regardons par la fenêtre, l’émotion nous revient car elle nous est donné par un autre moyen, par les arbres ou les nuages, par l’aboiement d’un chien ou le chant d’un rossignol. Ainsi nous sommes environnés de tous côtés – par la conversation, par le silence, par l’aspect des choses.