Don DeLillo - dans toute son oeuvre - nous permet de percevoir intimement la violence d’un monde, d’une époque, et d’événements historiques à travers des phénomènes extrêmement quotidiens. En y mêlant les destins esseulés d’hommes et de femmes frappés par l’Histoire, il inscrit dans leur chair les sentiments les plus anciens, brutaux, troubles, et secrets.
Cette force magnétique littéraire, visuelle, et sensorielle, m’amène aujourd’hui à porter le roman de L’Homme qui tombe sur scène, dans cette même continuité de théâtre de récit.
En poursuivant nos explorations reliant littérature, musique, et cinéma, notre grammaire théâtrale contorsionne l’espace et le temps autour des interprètes, des musiciens, et du public.
Il s’agit donc à présent, à travers cette oeuvre polyphonique, d’aborder la face la plus intime de la violence et du terrorisme - en mettant en scène les parcours parallèles d’une famille de Manhattan affectée par les attentats du World Trade Center, et la vie d’un jeune homme impliqué dans la cellule terroriste, dans les mois qui précèdent le 11 Septembre 2001.
Enfin, en nous autorisant à dialoguer avec le Mal dans sa forme la plus essentielle - comme à la lumière d’une bougie - nous observerons la genèse de cet acte inaugural du 21ème siècle. La part de mystère que l’Histoire a installée dans la vie d’un jeune homme en pleine construction, pour un acte voué à la pleine destruction.
Nous savions tous où nous étions, le 11 Septembre 2001 - et si l’impact dans nos vies est aujourd’hui aussi singulier que collectif, je reste intimement convaincu que, ce jour là, jeune adolescent - au-delà des postes de télévision, du discours ambiant, des radios, des journaux - j’ai senti notre humanité tout entière être emportée dans un mouvement total de l’Histoire, pour entrer brutalement dans ce 21ème siècle qui me fascinait tant.
Simon MAUCLAIR
L’oeuvre
L’Homme Qui Tombe, c’est avant toute chose cette photographie de Richard Drew prise au coeur des attentats du 11 Septembre 2001.
Écrit en 2006, le roman L’Homme qui tombe nous offre une vision nouvelle et apaisée de notre perception du terrorisme.
En explorant les effets et des causes d’une catastrophe au coeur de notre histoire commune, cette histoire fraye le chemin d’une catharsis qui autorise à regarder le Mal en face, dans tous ses inévitables avènements.
Sous ce titre, Don DeLillo mêle le destin post-impact de Keith - employé rescapé d’une tour jumelle - avec celui d’Hammad, jeune membre du commando du 11 Septembre.
Le roman entrelace deux histoires distinctes :
L’histoire de la Famille Américaine, qui se déroule sur trois ans aux États-Unis, et occupe la plus grande partie du roman - et l’histoire d’Hammad, épilogues de chacun des 3 chapitres, qui se laisse peu à peu enrôler dans la cellule terroriste qui exécutera les attentats.
L’histoire d’une lente reconstruction (celle du peuple américain), et celle d’un apprentissage (Hammad) qui a pour finalité la destruction.
Il faudra attendre le dernier chapitre pour que les deux histoires rentrent, au sens propre, en collision.
L’histoire d’Hammad possède ainsi ses propres temporalité et chronologie, se situant en amont de l’attentat, plusieurs années plus tôt, tandis que le reste de l’histoire se consacre à l’après 11 septembre.
Le dernier épilogue clôturant le roman s’intitule « Dans le corridor de l’Hudson » et marque la rencontre de la fiction et de l’événement, l’avion s’engageant dans ce corridor avant de percuter une tour.
C’est ici que la fiction littéraire accomplit ce qu’elle est la seule, selon DeLillo, à pouvoir accomplir : une plongée dans l’intériorité.