Servie par quatre formidables jeunes acteurs qui ont contribué à son écriture, la pièce de la dramaturge et performeuse Rébecca Chaillon exhibe les affres adolescentes de la génération Z. Ravageur, le spectacle dynamite, non sans avoir recours à l’autodérision, les stéréotypes. Un vrai régal !

« Il y a dans mes spectacles un rapport à la consolation, à la réparation de l’adolescente que j’ai été et qu’il s’agit cette fois d’adresser aux plus jeunes. On va donc disséquer et mettre en performance tous ces événements hyper-violents traversés par les ados sans regarder ailleurs, sans faire semblant », avertit Rébecca Chaillon versée dans l’art de la performance radicale dont le travail révèle, entre autres thèmes récurrents, une obsession pour la nourriture. Obsession qui sert plus que jamais de prisme à Plutôt vomir que faillir pour figurer, de manière aussi charnelle que métaphorique, cet indigeste normatif – injonctions parentales dérisoires, intimations scolaires décalées, canons de beauté surréalistes, identités genrées obsolètes – qui donne des haut-le-cœur aux quatre protagonistes. Ados, membres de cette génération qui a moins de trente ans aujourd’hui, née avec un rapport quasi-inné au numérique, Chara, Zakari, Mélodie et Anthony dégueulent leur malaise avec autant de sérieux que d’autodérision et partent à la conquête d’eux-mêmes, faisant fi de tous les tabous.

Des prestations hors-pair

Le propos poétiquement accentué de Rébecca Chaillon est démultiplié avec beaucoup d’ingéniosité. Les dispositifs narratifs ne s’interdisant rien prennent comme point d’appui la biographie, l’identité, la personnalité des quatre jeunes acteurs. Triés sur le volet pour signifier toute la richesse des possibles ouverts par le refus de la norme que chacun d’entre eux incarne de manière singulière, les performeurs, invités à ne pas y aller avec le dos de la cuillère, livrent une prestation hors-pair. En arrivant dans le décor, ils s’arcboutent sur l’assiette géante qui, trônant à l’arrière-scène, attend d’être placée au milieu du plateau encadré de part et d’autre par un mur de micro-ondes, auquel fait face la rampe de self-service d’une cantine scolaire reconnaissable entre mille. Au gigantisme de l’assiette et des couverts répond l’énormité de ce qui est à avaler et qu’il s’agit de régurgiter dans un sursaut salutaire. Bientôt, surélevée en fond de scène, l’assiette servira d’écran comme de miroir. Ce portrait d’adolescents en quête d’eux-mêmes, impitoyable et désopilant, abrasif et explosif, galvanise. Il porte l’espoir d’un avenir meilleur, élargi.

Marie-Emmanuelle Dulous de Méritens